Caméras dans les gares : l’efficacité en question

www.lavenir.net a écrit:Une étude de l’UCL démontre que les caméras de surveillance dans les gares ont une efficacité très relative face à la criminalité.

Depuis 2007, la SNCB a multiplié par trois le nombre de caméras de surveillance pour couvrir ses infrastructures. L’essentiel de ces 3 400 yeux électroniques se trouve dans les gares (2 800) et le reste est utilisé pour protéger d’autres biens du rail, comme les ateliers ou les stocks de matériaux.

Entamé en 2006, le plan de sécurisation par vidéosurveillance (caméras et centre de contrôle des images) qui arrive à son terme a coûté 19,5 millions d’euros, par le biais d’une dotation spéciale de l’État à la SNCB.

De l’argent dépensé inutilement ? L’étude que vient de publier l’UCL ne porte pas un jugement aussi radical. Mais les conclusions de Vincent Francis, auteur de cette recherche, montrent toutefois que « les caméras de surveillance ont un impact très relatif sur la criminalité ».

Chargé de cours invité en droit pénal et criminologie, le professeur Francis note ainsi que, face aux caméras placées dans les gares, les publics “à risque” sont incités à aller ailleurs. « En fait, la stratégie de la SNCB vise au déplacement de la délinquance, à défaut de dissuasion comportementale.»

Le rôle du rail est de faire rouler les trains et d’assurer la sécurité des voyageurs, pas d’éduquer les voyous, réplique-t-on en substance à la SNCB Holding (voir par ailleurs). Le professeur en convient aussi. «Il y a une légitimité pour la SNCB à sécuriser ses espaces. On traite les symptômes, c’est important, mais on néglige les causes profondes de la délinquance. Ce n’est pas la responsabilité de la SNCB mais c’est emblématique d’un état d’esprit plus général et d’un mouvement de fond dans la manière d’aborder la délinquance. »

Résultats ? Si les caméras rendent l’espace plus menaçant pour ceux qui veulent y commettre un délit, certains individus vont commettre leur délit ailleurs, où ils ne seront pas filmés. Si c’est hors des gares, sa mission est accomplie, dit la SNCB.

Mais ce n’est pas toujours le cas non plus, dit l’étude : certaines personnes oublient la présence de la caméra, d’autres agissent expressément devant celles-ci, stimulées par le goût du risque, ou encore les caméras suscitent des actes de résistance (destruction des appareils, camouflage pour éviter d’être filmé, etc.). Sans compter que le nombre de points à surveiller rend très rare la détection d’une infraction, et donc une réaction, en direct.

Point positif tout de même : les images enregistrées sont des éléments de plus en plus usités et décisifs dans les enquêtes de police. Mais là aussi la caméra a son revers, note le professeur Francis : «les forces de l’ordre ont tendance à porter leur action dans ces endroits où des caméras ont relevé un délit et où leur enquête a donc plus de chances d’aboutir, au détriment d’autres lieux moins sécurisés.»

www.lavenir.net a écrit:« Plus on met de caméras pour couvrir un espace, plus on a des images à contrôler et plus c’est dif ficile »

Faut-il tirer comme conclusion de votre étude que les caméras de sécurité ne servent pas à grand-chose dans les gares ?
Non, la conclusion c’est que ça sert à pas mal de choses, mais peut-être pas à ce qu’on croit. La caméra seule, comme objet de surveillance, n’est pas si efficace que ça. Par contre, quand elle est conjuguée à des interventions directes sur le terrain, par exemple avec des agents de sécurité ou des policiers, ou connectée à un disque dur qui enregistre des images qui peuvent être exploitées à des fins judiciaires, alors elle ne fonctionne pas si mal.

La difficulté réside donc dans le contrôle des images ?
Plus on met de caméras pour couvrir un espace, plus on a des images à contrôler et plus c’est difficile. Paradoxalement, plus on met des caméras, moins on sait contrôler ce qu’on filme. La détection en direct d’un fait délictueux est d’ailleurs très rare. C’est pour cela qu’on commence à imaginer des logiciels qui pourraient capter automatiquement certains passages à l’acte et donner l’alerte.

Ce sera la solution d’avenir pour rendre efficace la vidéosurveillance ?
On n’en sait rien car il faudrait que les publics cibles soient conscients de cette menace et on ne sait pas comment ils réagiront. Par contre, l’avènement de ces logiciels montre que la préoccupation des responsables de la sécurité est plutôt d’anticiper le passage à l’acte et non plus d’intervenir quand il a lieu. C’est révélateur d’une société qui essaie d’anticiper le risque à défaut de pouvoir le prévenir. On ne travaille donc plus sur les causes du comportement délinquant.

Mais ça, ce n’est pas le rôle de la SNCB…
La SNCB fait son travail en sécurisant les espaces fréquentés par sa clientèle, effectivement. Il y a donc une légitimité à sécuriser. Cela dit, la SNCB essaie aussi d’agir sur certaines causes sociales de comportements délinquants (actions vis-à-vis des sans-abri ou des écoles pour lutter contre l’absentéisme scolaire). Mais l’option caméra démontre qu’on est quand même d’abord dans une optique de contrôle technologique sur le passage à l’acte plutôt que sur les causes.

Cette analyse vaut-elle pour les caméras de plus en plus présentes dans les villes ?
Pour un certain nombre de résultats, oui. Mais il y a une grosse différence : avec la SNCB il s’agit d’espaces fermés et réduits. Ils peuvent donc être saturés en caméras, la SNCB peut reproduire son espace numériquement et donc y exercer plus facilement un contrôle. Ce qui n’est pas le cas d’une ville.