Benechim (Lessines ): les pompiers étaient mal (in)formés

www.lavenir.net a écrit:Le grave incendie sur le site de Benechim, début novembre à Lessines, aurait pu tourner au drame. Les pompiers étaient trop peu (in)formés.

Tous les observateurs ont vite éprouvé le sentiment, le mardi 6 novembre dernier, que le pire avait été évité sur le site de l’entreprise chimique Bénéchim à Lessines, où un incendie s’était déclaré peu avant 5 h. Intuitivement.

Le commandant des pompiers de Lessines (et d’Ath), le capitaine Baudouin Vervaeke, a également partagé cette impression, mais de manière plus rationnelle sans doute. Parce qu’il a rapidement détecté, dans l’intervention des services de secours ce jour-là, une série de carences ou de faiblesses qui auraient pu coûter très cher.

C’est ainsi que Baudouin Vervaeke a sollicité des regards extérieurs critiques afin d’évaluer l’intervention, dans l’objectif évidemment d’améliorer les processus, de peaufiner les formations, d’aller plus loin dans les préparations. Pour réduire encore davantage la place laissée à l’improvisation, et donc de tenter de limiter un peu plus les risques.

Le commandant des pompiers s’est tourné vers le Gouverneur de la province, ainsi que le Centre fédéral de connaissances pour la sécurité civile (KCCE). «J’ai sollicité auprès de ces intervenants extérieurs une aide afin d’avoir un débriefing qui soit le plus objectif et critique possible par rapport à l’intervention des secours» explique Baudouin Vervaeke.

«C’est une intervention qui s’est bien déroulée parce que nous avons eu de la chance; il n’y a pas eu de mort ou de blessé; il n’y a donc pas d’épée de Damoclès pour l’un ou l’autre intervenant, et nous pouvons nous permettre d’être plus critiques afin de progresser encore. Et cela ne concerne pas uniquement le service incendie, mais également la police, les services médicaux, la Ville, etc. Des débriefings entre nous sont-ils suffisants et objectifs pour mettre le doigt sur ce qui n’a pas fonctionné? Je ne le pense pas…»

«Il faut toujours regarder si on peut faire mieux; je considère cela comme un examen. Nous avons peut-être obtenu 60 %, mais nous pouvons obtenir 80 %, à condition de revoir notre copie afin de progresser.»

«Globalement, on peut dire que nous n’étions pas suffisamment bien préparés. Intervenir dans une maison classique, ça va. Mais c’est différent pour un incendie dans une usine. Et comme ce n’est finalement pas fréquent pour un service incendie, il dispose de peu d’expérience, donc de peu de connaissances. Chez Benechim, on a abordé le sinistre (durant la première demi-heure au moins) comme s’il s’agissait d’un feu classique de maison, non d’un bâtiment industriel. Avec une autre approche, nous aurions peut-être pu intervenir de façon plus efficace plus tôt. Conclusion, après coup, nous nous sommes demandés : étions-nous bien préparés? Avons-nous pris les bonnes mesures? Et les réponses sont négatives.»

«Finalement, à chaque moment de l’intervention, nous avons bénéficié d’un brin de chance» conclut Baudouin Vervaeke. «Mais il faut souligner le fait que des choses se sont aussi passées correctement : nous avons exposé peu de personnes, l’intervention s’est déroulée dans le calme et le personnel de l’entreprise Benechin est resté discipliné, à l’écoute.»

Le commandant des pompiers de Lessines attend et espère un feedback critique auprès des instances contactées. Des courriers transmis au KCCE n’ont livré aucune réaction concrète jusqu’à présent. «Au niveau du Gouverneur, une présentation a été réalisée le 19 novembre devant la cellule provinciale de sécurité qui regroupe des représentants des différentes disciplines des secours.»

www.lavenir.net a écrit:Baudouin Vervaeke a identifié une série de manquements dans l’intervention des secours, le 6 novembre.

Beaucoup de carences se situent au niveau de l’information, à différents égards. «Il y a d’abord eu trop peu d’informations à disposition des pompiers pour savoir clairement ce qui se passait, et ce qui brûlait. Normalement, nous devons le savoir; plusieurs éléments permettent de le savoir. En premier lieu, le plan interne d’urgence de l’entreprise qui est normalement à la base de tout, mais qui n’était pas actualisé. À partir de ce plan, les pompiers peuvent élaborer le leur. Mais la première équipe d’intervention ne disposait pas du plan car, ce matin-là, elle s’est rendue directement chez Benechim au départ d’un autre incendie, sans passer par la caserne; peut-être faudrait-il penser à mettre en œuvre des moyens techniques, comme un pc portable, pour accéder directement à ces informations? Par ailleurs, le plan d’intervention mentionnait les noms de cinq personnes-ressources dans l’entreprise, mais pour des raisons diverses, presque toutes ces personnes n’étaient pas contactables ou plus concernées…»

«L’entreprise a un processus de fabrication assez court, avec une importante rotation des matières» poursuit Baudouin Vervaeke. «Sa base de données n’est pas suffisamment souple pour actualiser constamment, en temps réel, les produits qui se trouvent dans l’usine. D’autres sociétés y parviennent. Il y a donc toujours un travail à effectuer auprès des entreprises.»

«En termes d’informations, nous ne savions pas, par exemple, qu’il s’agissait d’un bâtiment de type ATEX; nous avons une radio qui répond à cette caractéristique, mais qui n’a pas été utilisée ce jour-là. Il y avait des fûts ici et là. On nous a dit qu’ils étaient inflammables et toxiques; mais à quel niveau et de quelle façon? Les tenues des pompiers étaient-elles suffisantes pour se protéger de cette toxicité, contre des gaz ou des projections? »

Et le plan général d’urgence et d’intervention ?
Autre lacune, toujours dans les plans d’urgence : le plan (communal) général d’urgence et d’intervention (PGUI) n’est pas encore finalisé à Lessines. «Tel plan indique vraiment qui fait quoi et comment on le fait; il précise la place de chacun» souligne Baudouin Vervaeke.

La matière des plans d’urgence et d’intervention est régie par l’arrêté royal du 16 février 2006. Cet A.R. précise notamment les différents échelons de gestion de la crise (communal, provincial, fédéral). En cas d’accident au niveau communal, le bourgmestre avertit le Gouverneur. Ce ne fut pas le cas à Lessines alors que le PGUI (encore en latence) était mis en œuvre dans la pratique.

Le commandant des pompiers relève encore quelques autres lacunes dans l’intervention. «Théoriquement, les vêtements portés par les pompiers ce jour-là auraient dû être décontaminés sur le site, or nous n’avons pas su le faire systématiquement. Il faudrait donc aussi prévoir des vêtements de rechange; et cela peut arriver tout le temps, par exemple en cas d’intervention dans un bâtiment avec de l’amiante. Nous ne pouvons pas respecter les procédures théoriques.»

«Telle intervention suppose également la présence d’un conseiller en sécurité, parce que les pompiers ne peuvent pas prendre tous les risques. Il aurait aussi fallu un suivi de la part de la médecine du travail pour les pompiers : quid en cas d’inhalation de substances dangereuses? Et encore : on a déterminé un périmètre de confinement, mais s’est-on inquiété du fait de savoir si certains riverains ne requièrent pas des soins spécifiques et urgents? L’Inspection de l’Hygiène doit être associée normalement…»

www.lavenir.net a écrit: L’entreprise en tire aussi les leçons

Le commandant des pompiers de Lessines note la très bonne collaboration instaurée avec Benechim, afin de tirer les leçons de l’incendie.

«Suite à une analyse complète de l’accident, nous avons dégagé une série d’actions de prévention qui ont déjà été, ou seront mises en place» indique Frédéric Pagnan, conseiller en prévention chez Benechim. «Parmi elles, la révision complète de notre plan d’intervention est une priorité. Une réunion de concertation avec le service incendie a d’ailleurs déjà eu lieu le 19 novembre 2012 dans ce sens; elle a permis de faire le point sur les améliorations à apporter là où nécessaire, mais elle a aussi permis de mettre en lumière ce qui a bien fonctionné.»

«Nous travaillons déjà à la mise en place de ce nouveau plan d’intervention» poursuit M. Pagnan. «Les modifications qui seront apportées devront assurer, notamment, une meilleure mise à disposition des informations critiques pour les services de secours. Ainsi, en parallèle au plan d’intervention, d’autres procédures organisationnelles seront, à court terme, mises en place, visant par exemple à assurer une meilleure localisation des matières présentes sur site, avec mise à jour quotidienne d’un plan de localisation très précis des stocks présents. Nous revoyons également nos procédures et méthodes de travail afin de limiter au strict minimum les stockages dans les bâtiments (nous avons le projet de construire une zone de stockage intermédiaire extérieure).»

«En résumé, les démarches internes d’actions correctives qui découlent de notre analyse de l’accident, en concertation avec tous les services concernés, y compris le service incendie, ont déjà débuté.»

«Au niveau du plan d’intervention en particulier, sa révision se fera en complète concertation avec le service incendie.»