Grandes manœuvres autour des hôpitaux bruxellois

www.lesoir.be a écrit:Un conseil d’administration extraordinaire est convoqué ce lundi matin. Sur la table : une proposition de rapprochement avec le Chirec. Mais Erasme ouvre aussi les bras à HIS.

Le pôle hospitalier public Iris Sud (HIS) va-t-il convoler avec le Chirec ? C’est la question qui sera posée ce matin, lors d’un conseil d’administration extraordinaire de la structure. Formulée comme ça, elle a de quoi surprendre : la médecine publique bruxelloise mariée à l’hôpital privé par excellence ? Si elle se pose, c’est d’abord parce que les hôpitaux de la capitale n’échappent pas au contexte belge : difficultés financières, pénurie de médecins et surtout obligation fédérale de se regrouper en réseaux. Mais c’est aussi le résultat d’une saga bruxelloise de l’ombre, marquée par les clivages francophone/néerlandophone, laïc/confessionnel, public/privé, Ville de Bruxelles/autres communes.
Isolé par la Ville et Erasme

Le péché originel, c’est la Ville de Bruxelles, personnifiée par Yvan Mayeur, qui le commet. Sa stratégie ? Fondre les quatre hôpitaux de son territoire (Bordet, l’hôpital des enfants, Saint-Pierre et Brugmann) d’Erasme, en un grand pôle universitaire laïc. Etape par étape. En 2014 sont ainsi actés le regroupement des quatre institutions hospitalières en un « CHU de Bruxelles » ainsi que le principe du rapprochement avec l’hôpital ulbiste ; en 2018 est annoncée la fusion d’Erasme et Bordet, préfigurant le même mouvement avec les autres hôpitaux de la Ville. Lesquels s’éloignent donc de plus en plus de la structure faîtière Iris, créée en 1996 par la Région pour assainir les hôpitaux des CPAS, exsangues.

Un mouvement qui passe très mal à l’hôpital d’Iris Sud. Fruit de la fusion des hôpitaux publics d’Anderlecht (Bracops), d’Etterbeek et Ixelles (Etterbeek-Ixelles), de Saint-Gilles (Molière-Longchamp), HIS se retrouve esseulé au sein d’Iris. « Et dindon de la farce », souligne un des administrateurs représentant une des communes. « C’est peu dire que nous n’avons pas été impliqués et que nous avons été informés avec retard, ce qui a créé beaucoup de tensions », dénonce Charles Picqué. « Et nous avons tardé à réagir, entre communes concernées. La structure Iris n’a pas non plus été très proactive », grince cet autre élu local.

Résultat : il y a aujourd’hui urgence à trouver un ou des partenaires à Iris Sud. D’abord parce qu’un projet de loi fédéral impose aux hôpitaux bruxellois de se regrouper en quatre réseaux « loco-régionaux ». « Le principe est de maintenir une offre de base de qualité sur tous les sites d’un réseau, notamment les urgences, les soins aux personnes âgées et le pôle mère/enfant. Puis de spécialiser chaque site », explique l’une des chevilles ouvrières de l’application de la réforme. Le texte est actuellement… bloqué à la Chambre (par une demande d’avis au Conseil d’Etat), les affaires courantes pourraient ralentir, voire arrêter, son parcours législatif mais, s’il est adopté, il entrera en vigueur au 1er janvier 2020. A cette date, la Région bruxelloise disposera d’un réseau néerlandophone, articulé autour de l’UZ Brussel, d’un réseau confessionnel centré sur Saint-Luc ; d’un réseau laïc avec Erasme et les hôpitaux de la Ville. Reste à définir l’avenir d’HIS, du Chirec, des Cliniques de l’Europe (Sainte-Elisabeth et Saint-Michel).
HIS doit s’unir ou mourir

« Indépendamment de cette réforme, HIS doit se trouver des partenaires, sinon il va mourir », insiste Vincent De Wolf. Qui pointe notamment la baisse sensible du nombre de patients à Iris Sud depuis que le Chirec s’est installé à Delta, fin 2017. « Par ailleurs, nos médecins sont inquiets : on s’arrache certaines spécialités, vu la pénurie. Ils ont peur que les hôpitaux publics n’attirent plus. » HIS s’est alors tourné vers l’ULB, pour sonder la possibilité d’une fusion, calquée sur celle de la Ville. « On nous a opposé une fin de non-recevoir », explique le bourgmestre d’Etterbeek. De leur côté, les médecins d’HIS – qui sont tous indépendants, contrairement au corps médical des hôpitaux de la Ville et d’Erasme, salariés – ont exploré la piste d’un rapprochement avec le Chirec. Avec fruit puisque c’est la thèse qu’ils soumettent ce lundi au conseil d’administration, et pour laquelle ils espèrent obtenir le feu vert. A bonne source, on nous explique qu’une large majorité du corps médical la soutient, « parce qu’elle permet de garantir la médecine publique ». Si le Chirec se refuse officiellement à tout commentaire, en coulisses, on glisse que bien sûr, les tarifs Inami seraient garantis. « On nous colle l’image d’un hôpital de luxe, mais nous avons 70 % d’hospitalisations en chambre commune, 100.000 urgences par an sur les trois sites… », insiste-t-on à Delta.
Un enjeu : la médecine publique

« C’est précisément l’enjeu de la médecine de qualité, accessible à tous, qui s’inscrit en filigrane du dossier », résume Christos Doulkeridis (Ecolo), qui, en tant que nouveau bourgmestre d’Ixelles, vient de plonger dans le dossier. Sur cette volonté intangible de préserver les missions sociales et la notion de service public au sein d’HIS, les trois autres communes sont sur la même longueur d’ondes. « Mais il faut aussi écouter les médecins, complète Isabelle Emmery (PS), administratrice anderlechtoise. Sans eux, il n’y a plus d’hôpital. »

Si les constats et principes font l’unanimité, les conclusions divergent. Pour Vincent Dewolf, le Chirec offre suffisamment de garanties pour assurer un avenir public à HIS, et pérenniser les sites des quatre communes, souvent très proches de ceux du Chirec. « Il faut arrêter de perdre du temps en espérant un rapprochement avec la Ville ou Erasme. » Charles Picqué, Isabelle Emmery et Christos Doulkeridis veulent croire qu’il est encore possible de rouvrir la discussion, pour créer… un très grand réseau, de 4.500 lits, avec Erasme, la Ville, HIS et le Chirec. Impossible ? Un groupe de réflexion a en tout cas été constitué, qui l’étudie. Et « le camp d’en face » rouvre le jeu (lire ci-contre). De quoi permettre aux administrateurs de mandater les gestionnaires de l’hôpital pour explorer les deux voies ?

www.lesoir.be a écrit:Une nouvelle polyclinique à Etterbeek?

Le conseil médical d’HIS et le Chirec ont été assez loin dans les discussions quant à un éventuel rapprochement. Outre les aspects liés au maintien de la médecine publique, il est aussi question de maintenir tous les sites d’Iris Sud, pourtant souvent proches de ceux du Chirec. Ainsi, Bracops et Sainte-Anne à Anderlecht ; Molière-Longchamp et Cavell ; Etterbeek/Ixelles et Delta.

Au passage, Vincent De Wolf, si le deal s’opère, rêve de créer une nouvelle polyclinique… sur les futurs décombres de la maison communale (laquelle sera démolie dans un an et demi). « On va y construire des logements moyens et sociaux. Mais on pourrait utiliser l’avant pour créer une polyclinique et une one-day clinique. Cela permettrait de regrouper sur le nouveau site les activités de Froissart et Baron Lambert. Le Chirec a donné son accord de principe », annonce le bourgmestre etterbeekois.

www.lesoir.be a écrit:Yvon Englert: «Nous souhaitons travailler avec HIS et le Chirec»

Plusieurs sources, au sein d’HIS, nous ont fait état du refus qui leur a(urait) été opposé, tantôt par la Ville, tantôt par l’ULB, de travailler ensemble. Philippe Close, pourtant, se dit ouvert au rapprochement. « Moi, je suis partisan de synergies fortes entre les hôpitaux publics bruxellois », plaide le bourgmestre de la Ville. Et d’assurer « que la porte est grande ouverte à HIS si ses responsables veulent encore un destin commun avec nous. »

Le recteur de l’ULB se fait encore plus enthousiaste. « HIS a toujours été un partenaire très important pour l’ULB, leurs médecins sont en très grande majorité issus de notre faculté. Il y a donc une vraie volonté politique, chez nous, de voir un rapprochement structurel s’opérer. » Quid du Chirec ? « Il fait aussi partie du réseau historique de l’ULB », souligne Yvon Englert.

Reste qu’une fusion entre Erasme et HIS, voire le Chirec, est souvent présentée comme impossible, les médecins de ces deux dernières institutions étant indépendants, et pas près de vouloir prendre le statut de salariés des hôpitaux universitaires. « C’est clair que l’arrimage ne pourrait pas prendre la même forme qu’avec les hôpitaux de la Ville, pour lesquels nous avons clairement dit que le regroupement annoncé en septembre préfigure une fusion, reconnaît Yvon Englert. Mais cet arrimage avec HIS est possible, sous une autre forme. Et il est souhaité par l’ULB. » De quoi rebattre les cartes ce lundi matin…